Aziliz Gouez
Biographie
Aziliz Gouez est la rédactrice en chef des discours (chief speechwriter) du Président de la République d’Irlande, Michael D. Higgins. Elle a, en cette capacité, joué un rôle prépondérant dans les grands jalons de la Présidence de Higgins, notamment sa visite historique à la Grande Bretagne (la première visite d’un chef d’Etat irlandais à l’ancienne puissance coloniale depuis l’indépendance de l’Irlande), et les commémorations en cours du centenaire de l’insurrection de Pâques 1916, considérée comme l’événement politique fondateur de l’Irlande moderne.
Avant de s’établir à Dublin avec son compagnon, irlandais, et leurs deux enfants, Onenn et Séamus, Aziliz Gouez a vécu, étudié et travaillé en Angleterre, en Bosnie-Herzégovine, aux Etats-Unis, en Israel, et à Paris, où elle a exercé pendant 5 ans les fonctions de directrice des recherches pour l’Institut Jacques Delors. Ce dernier - Jacques Delors - est, aux côtés du philosophe Pierre Hassner, l’une des figures qui ont marqué sa formation intellectuelle et son engagement européen.
Aziliz Gouez est diplômée de Sciences Po Paris et a ensuite étudié l’anthropologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales et à l’Université de Cambridge. Âgée de 36 ans et ayant grandi dans une petite ferme du Pays de Redon, elle nourrit un profond intérêt pour la Bretagne, son développement économique et agricole, et les expérimentations sociales et solidaires qui y fleurissent.
Les Irlandais commémorent cette année le centenaire d’un événement décisif dans l’histoire de leur lutte de libération nationale – l’Insurrection de Pâques 1916. Quelques jours de combat menés depuis une poste centrale, une biscuiterie, une minoterie, et une poignée d’autres sites dublinois firent peu pour ébranler la puissance impériale britannique. Fiasco militaire, la rébellion fut pourtant une victoire morale et symbolique : l’exécution de ses meneurs, l’emprisonnement de centaines de combattants rebelles – hommes et femmes – galvanisèrent le sentiment patriotique irlandais. Les réverbérations du soulèvement en Irlande se firent sentir à travers tout l’Empire, frappant l’imagination des porte-drapeaux de la décolonisation à venir, de l’Inde à l’Afrique du Sud, et devenant, plus près de nous, un puissant motif invocatoire pour plusieurs générations de militants bretons.
Cent ans plus tard, les échos subversifs du Easter Rising ont changé de terrain. L’orthodoxie nationaliste et conservatrice instaurée durant les premières décennies de l’Irlande indépendante a été prise d’assaut par une nouvelle génération d’historiens, artistes et écrivains. Nombre de carcans ayant volé en éclat, et le temps ayant émoussé l’acuité de certains clivages politiques, les Irlandais mettent au jour des strates oubliées, voire réprimées, de l’histoire du siècle passé. Ils redécouvrent, par exemple, le rôle central que jouèrent les femmes dans le mouvement révolutionnaire. Ils se remémorent la promesse d’égalité et de transformation sociale radicale portée par le socialiste James Connolly au sein de l’Irish Citizen Army – promesse dont la « Proclamation de la République » déclamée par Patrick Pearse depuis le parvis du GPO porte la trace.
L’Irlande contemporaine, toujours divisée, mais en paix, est également mieux à même de regarder en face l’extrême diversité des identités et des convictions de ceux qui furent les acteurs de cette révolution: militants de la cause culturelle et linguistique, mais aussi socialistes, féministes et syndicalistes révolutionnaires, catholiques, quakers et protestants, partisans de l’autodétermination qui, en 1914, s’engagèrent massivement dans les rangs de l’armée britannique, et même membres de l’aristocratie anglo-irlandaise, telles les sœurs Gore-Booth, dont l’une, Constance, se jeta l’arme au point dans la bataille de 1916, alors que l’autre, Eva, pacifiste convaincue, fut l’une des grandes figures du mouvement ouvrier et suffragiste en Grande Bretagne.
Tout ceci constitue une matière historique hors du commun et une matière littéraire captivante. On entend ces événements résonner dans l’ironie mordante du théâtre d’un Seán O'Casey aussi bien que dans les oeuvres d’auteurs contemporains, tels Sebastian Barry, Jennifer Johnston ou le poète Michael Longley. C’est cette rencontre entre écriture et histoire – histoire irlandaise, mais aussi moment décisif de l’histoire européenne et internationale, histoire de la Grande Guerre et crépuscule des Empires – que la présente édition du Festival du Livre en Bretagne nous appelle à découvrir, ou à redécouvrir.
Ce faisant, nous sommes aussi invités à renouer avec l’enchantement si particulier de la langue irlandaise, dans ses deux versants, gaélique et anglais. Nous sommes invités à nous émerveiller inlassablement de la façon dont les grands écrivains irlandais – Wilde, Joyce, Yeats, Beckett et tant d’autres jusqu’à Seamus Heaney – ont su, chacun à leur manière, s’emparer d’une langue qui était à l’origine celle de l’occupant, pour la transformer, la réinventer, et la faire leur en lui insufflant des tournures inédites, de nouvelles images, un nouveau relief.
Il n’est sans doute pas de meilleur entremetteur que cette littérature pour entrer dans l’histoire et dans l’imaginaire d’un pays avec lequel les Bretons se sentent des affinités si particulières.
Bonne lecture !
Aziliz Gouez
Dingle, le 22 octobre 2016