Le « roman breton » au sens strict désigne l’ensemble des textes littéraires centrés entre autres récits, sur la Table ronde. Cela n’empêche en rien Xavier Grall de se forger une langue empreinte de médiévisme et de conter dans Fête de nuit, l’épopée désespérée d’un prince-chevalier héros de la débine, Arzel. Jean-Pierre Le Dantec écrit Graal-romance pour fustiger à travers Lancelot, resté simplement homme, toutes les idéologies modernes concentrées dans la personne de Mordreit. De chapitre en chapitre, Livres des guerriers d’or de Philippe Le Guillou passe du « Livre du druide » au « Livre de Bretagne » … Déjà Velléda qui parlait comme Taliesin, dans Les Martyrs de Chateaubriand, avait ouvert la voie et la voix du monde celtique à l’expression nouvelle du roman breton. Dans Le Sang noir, Louis Guilloux met en scène un François Merlin, surnommé Cripure, enfermé dans un royaume des morts-vivants, avatar d’un Val sans Retour dépourvu de tout prestige. Et ce Merlin, en quête de pureté, par pusillanimité passera à côté de tout, à côté de la vie, à côté de son Graal, comme un Perceval, certes courageux, mais trop peu conquérant. En quête du monde ou de soi, chacun arrive au terme de son Voyage au bout de la nuit oeuvre L.F. Céline qui se définissait « celte avant tout rêvasseur bardique » …

 

Enchanteurs du désenchantement

A tout seigneur, tout honneur : René, le personnage éponyme du célèbre roman de Chateaubriand. Héros romantique par excellence, parfaitement incompris de la critique et de l’enseignement français pour qui le romantisme se réduit à de niaises bluettes amoureuses alors qu’il ne peut être qu’une révolte contre le monde, contre la condition humaine. Incapacité de se soumettre, goût de l’indépendance, anarchisme latent caractérisent le romantisme exprimé et vécu dans des œuvres romanesques les plus diverses aussi bien chez un L. Guilloux que chez un P.J Hélias.

Mais cet appel à la liberté et un certain déni du monde conjugué conduit aussi bien à un sentiment d’échec consenti, voire recherché. Paul Nizan, Guilloux, Hélias en sont les maîtres mais aussi Roger Nimier ou Robbe-Grillet dans Topologie d’une cité fantôme. Alors, pourquoi ne pas s’embarquer dans les plus improbables aventures avec Michel Mohrt ou Paul Guimard, avec Basile et Massu d’Arnaud Le Gouëfflec ? Mener ses propres errances dans une Petite chronique des gens de la nuit dans un port de l’Atlantique nord avec Philippe Hadengue ?

Louis Guilloux (photo Danièle Pelletier)

 

Fascination de la mer

« A terre, on n’est rien », proclame un personnage de L. Guilloux. En mer, ce n’est pas forcément la joie non plus. Mais comment lui échapper ? Et à soi-même ? Mer intérieure d’Aude Le Dubé, Mélancolie-Nord de Michel Rio. Marc Elder (Le Peuple de la mer, Prix Goncourt, 1913), Jean Merrien, Henri Queffelec, Roger Vercel, ne lui auront pas échappé. Et Les Noces barbares de Yann Queffelec reviennent vers elle…

 

Conteur ou romancier ?

Foin des distinctions. Chateaubriand et Louis Guilloux ont affirmé vouloir écrire comme on conte. Et si conteur fut, c’est bien P.J. Hélias auteur romanesque, s’il en est… Le conte, c’est la vie. Dire, c’est faire exister. Redire, c’est pérenniser. Il est singulier qu’un critique français, Dominique Fernandez, saluant la prose flamboyante d’un Ph. Le Guillou, ait tenu à préciser que « La Bretagne, terre de légendes, n’est peut-être pas propice au roman ». Qu’eût-il écrit à la lecture d’Yves Elléouët ? De Noël Devaulx ? Auxquels l’on pourrait joindre tant d’auteurs pour tel ou tel de leurs romans : Hervé Carn, Fabienne Juhel, ou Sophie Tessier auteur de Varech

 

Vous avez dit « régionalisme » ?

Il est vrai qu’à moins de ne porter en soi qu’un vide sidéral, il faut être de quelque part, ce qui est le seul et sûr moyen de s’ouvrir à l’universel. L’écriture, l’ancrage d’un Hervé Jaouen ou d’un Jean-François Coatmeur appartiennent aux lieux qui les ont construits et les font vivre. Mais le genre policier qui les caractérise, s’ouvre très vite à une approche socio-politique, à une analyse psychologique qui déborde tous les cadres. Le gardien du feu d’Anatole Le Braz est une tragédie racinienne. Daniel Cario vire au roman noir. Rien de plus briochin (Pays de Saint-Brieuc) que Cochinchine de Loïc Le Guillouzer, rien de plus américain, non plus. Rien de plus universel et de plus « brestois » que La peine du menuisier de Marie Le Gall.

Si l’on peut admettre qu’un certain régionalisme fait de Bretons trop typiques verse dans un faux folklore désuet, on doit convenir que le « régionalisme » d’un Henri Pollès, d’un Max Jacob (Le Terrain Bouchaballe, roman), d’un Charles Génial (La Passion d’Armelle Louannais), de Jean Failler, de Nathalie de Broc sont plus gage d’une forme d’authenticité que signe d’un enfermement dont ne s’illusionnent que les esprits chagrins…

 

En guise de conclusion…

Bien sûr, tout ceci n’est pas une étude. Ce n’est qu’une mise en perspective d’aspects fondamentaux de l’étonnante variété du roman breton. Il ne pouvait être question de nommer tous les auteurs. Il s’agit plutôt d’un appel à tout un chacun à faire vivre la littérature romanesque de Bretagne, d’hier et d’aujourd’hui. Elle appartient à notre patrimoine et participe de notre identité. Chateaubriand disait : « tout a changé en Bretagne, hors les vagues qui changent toujours ». En le paraphrasant, on pourrait dire : tout a changé en Bretagne, hors les romanciers qui changent toujours. Chacun d’eux à sa manière est la Bretagne, comme chaque vague est la mer.

 

Yannick Pelletier

Professeur agrégé de lettres classiques, docteur ès-lettres. Spécialiste universitaire de Louis Guilloux, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages portant sur la littérature et l’art de Bretagne : Chateaubriand, Xavier Grall, Jean Grenier, Pierre-Jakez Hélias, Max Jacob, Louis Guilloux, Georges Palante ; enclos paroissiaux et art religieux. Il a dirigé l’ouvrage universitaire Histoire Générale de la Bretagne et des Bretons (2 volumes, Nouvelle Librairie de France, 1990).

Yann Pelletier est membre du jury du « Prix du roman de la ville de Carhaix » depuis sa création en 1999.