Continuer à tourner les pages…
Demain, enfin dans un an, nous fêterons la 30e édition du festival du livre en Bretagne de Carhaix. Trente pages d’une manifestation dévorées comme un bon roman. Sans sentir passer le temps. Et à chaque fois, les têtes qu’on retrouve avec plaisir, les fidèles éditeurs, auteurs, visiteurs… et des milliers de livres. Les nouveautés qu’on découvre avec gourmandise, et, ici et là, quelques pépites discrètes, trop discrètes, car souvent éloignées des canons médiatiques et qu’on gardera précieusement car elles enchanteront nos moments de lecture. En français comme en breton.
Depuis sa création le festival du livre de Carhaix donne toute sa place à l’édition en langue bretonne et ce n’est que justice. A l’heure où la France organise un « loto patrimoine » pour tenter de collecter de l’argent dans le but de sauver des monuments historiques laissés à l’abandon par un Etat en « faillite », la situation de cette langue et l’absence de réaction d’envergure face à son déclin ne peuvent que nous inquiéter. « La langue bretonne n’est pas un ensemble de pierres, de bois et de métal érigé quelque part en Bretagne. C’est un trésor vivant, autrement plus important et précieux et qui est l’âme de tout un peuple d’ouvriers, de paysans, d’étudiants, de commerçants…, transmise depuis des siècles et des siècles, des générations et des générations. Cette langue encore vivante dans ce pays sur les lèvres de 200.000 (?) femmes et hommes de Bretagne (Quand ils étaient plus 1 200 000 en 1930) réclamerait aussi une forte mobilisation des pouvoirs publics avec les mêmes relais médiatiques. Une forte mobilisation bien entendu de l’Etat central qui porte une responsabilité écrasante dans la situation dramatique actuelle. Eh bien non ! Loin de tout faire pour réparer les destructions qu’il a largement causées à cet élément capital du patrimoine de la Bretagne », cet Etat continue son incessant travail de destruction et d’oppression en dressant chaque fois qu’il le peut des murs contre l’expression publique de la langue bretonne en mobilisant les bataillons de fonctionnaires du Moloch jacobin, quelques élus rétrogrades et passéistes ou quelques plumitifs parisiens en service commandé. Tous ne parlent pas comme Zemmour mais tous ne souhaitent qu’une chose : que nous tournions le dos au breton. Que demain il n’y ait plus de Fañch mais uniquement des François… Que demain on ne puisse plus prétendre, après une scolarité immersive totalement basée sur la langue bretonne, prétendre à passer les épreuves du bac ou du brevet en breton… que demain enfin disparaisse des écrans TV une langue qui n’a que trop vécu… Cette attitude est d’une violence inouïe !
C’est pourquoi nous sommes fiers de proposer au cœur du festival quasiment l’ensemble des maisons d’édition en langue bretonne et de leur donner la même place et la même importance que l’édition en français. On ne dira jamais assez l’immense travail réalisé par des structures souvent associatives pour fournir les ouvrages en langue bretonne réclamés par les nouvelles générations. Nous vous invitons à leur rendre visite et à venir découvrir leurs productions d’une grande diversité et le plus souvent de qualité.
L’édition en français
Les livres en français représentent incontestablement la majorité des ouvrages proposés au public du Festival du livre de Carhaix et c’est le reflet de la réalité éditoriale sur l’ensemble de la Bretagne, de Brest à Nantes et de Fougères à Audierne. Là aussi la diversité est au rendez-vous et, de la plus grande à la plus petite, toutes les maisons d’édition de Bretagne ou presque ont à cœur d’honorer le rendez-vous carhaisien d’octobre. Nous n’avons jamais voulu céder à la facilité et faire « descendre » de Paris les « plumes » du moment encensées par les médias et dont la notoriété, parfois éphémère, assurerait au festival un surcroît d’exposition cathodique. Qu’on ne s’y méprenne pas ! En respectant depuis près de trente ans notre ligne de conduite initiale : inviter uniquement les maisons d’édition de Bretagne ou, pour l’espace des romanciers, seulement des écrivains ayant une attache bretonne, nous restons dans notre créneau qui consiste à présenter au public, le temps d’un week-end, la vitrine de l’édition en Bretagne. Dans ce créneau nous ne nous interdisons rien. Lors de la dernière édition, dont l’invité d’honneur était la Corse, nous avons fait des pieds et des mains pour tenter d’avoir un auteur corse de talent reconnu à Paris bien qu’ancien militant nationaliste, prix Goncourt 2012, Jérôme Ferrari. Le lien était évident et naturel. Hélas cela n’a pu se faire. Une autre fois peut-être ?
Comme le festival des Vieilles Charrues « nous rêvons aussi d’avoir nos Rolling Stone à nous » ! Chaque année maintenant nous contactons le prix Nobel de littérature, Jean-Marie Le Clézio dont l’attachement à la Bretagne est connu. Très cordialement il nous répond. Mais à ce jour nos dates n’ont pu correspondre à son agenda qu’on imagine bien rempli. Mais nous avons de la constance et ne désespérons pas de l’entendre un jour redire à Carhaix, à la tribune inaugurale, ce qu’il confia à nos amis des Editions Skol Vreizh :
La nation, ce n’est pas un état avec un pouvoir juridique, un pouvoir économique, un pouvoir militaire. C’est un ensemble de liens qui construisent un tout cohérent et je crois que les Bretons méritent ce nom de nation.
Pour moi, la Bretagne c’est une idée (…) c’est-à-dire que c’est un pays, donc une nation, qui apporte quelque chose d’autre que la simple définition d’un pays par ses frontières, par sa langue ; c’est comme ça que je le ressens.
Quelle est l’utilité de la langue bretonne ? Difficile de la définir, mais elle est utile par elle-même. Elle est utile parce qu’elle est un accomplissement, parce que c’est une langue qui est très ancienne, donc qui a sa place dans le concert des langues. C’est si vous la retranchez que vous voyez son utilité parce qui sous l’enlevez, si vous l’abolissez, à ce moment-là, la Bretagne c’est une province comme le Poitou, ce n’est plus une nation.
On imagine sans peine la tête des « jacobins de sous-préfecture » obligés d’être là pour recevoir un Prix Nobel de littérature et d’entendre de tels propos ! Plus sérieusement, Jean-Marie Le Clézio, Jérôme Ferrari… et bien d’autres démontrent qu’un écrivain peut vivre ses attaches, les assumer et tendre à l’universel de la littérature. Dans les années qui viennent nous souhaitons que le festival continue à garder ce qui fait son originalité, son enracinement sans pour autant oublier de s’ouvrir sur le monde. En presque trente ans nous avons invité de nombreuses nations sans Etat de l’hexagone (Corse, Basque, Alsace…), autant de pays confrontés comme la Bretagne au rouleau compresseur de l’uniformisation jacobine. Irlandais, Gallois, Québécois… ont aussi été accueillis à Carhaix. Peut-être faut-il aller plus loin et donner la parole à des écrivains africains, palestiniens, sud-américains… ? Car l’uniformisation jacobine, toujours très prégnante aujourd’hui, est elle-même supplantée par une mondialisation de la culture qui laisse peu de place à nos langues « régionales » et à nos identités minorées. Mais dans ce combat nous ne sommes pas seuls ! Il nous suffira d’ouvrir grand les portes et les fenêtres sur le monde et de tendre la main à nos semblables de par la planète, pour être un peu plus forts ! « Les cultures autochtones, amérindiennes, aborigènes, occitanes, basques, bretonnes… sont le produit de l’adaptation de l’Homme à son environnement. Défendre les cultures « régionales » c’est défendre le lien qui unit les Hommes à la planète ! »