Dès les années 1920, des militants bretons avaient exprimé le souhait de voir des ensembles de cornemuses écossaises remplacer les couples traditionnels biniou-bombarde, parce qu’ils les jugeaient plus susceptibles de susciter de la fierté chez les Bretons. La création en 1932 de Kenvreuriez ar viniouerien (KAV) (La confrérie des joueurs de biniou), comprenant bagpipes, binious, bombardes et tambours, dans les milieux bretons de région parisienne, permet de commencer la réalisation de ce vœu. Une formation comprenant bagpipes, bombardes et tambours se produit à Pont-l’Abbé le 7 août 1938 lors d’une fête champêtre, mais il faut attendre 1943 pour qu’une association similaire à la KAV voie le jour en Bretagne : c’est Bodadeg ar Sonerion (BAS) (L’assemblée des sonneurs) dont les personnalités les plus marquantes sont Polig Monjarret (1920-2003) et Dorig Le Voyer (1914-1987). Les statuts de BAS sont déposés en 1946, et deux ans plus tard est fondée la première « clique de binious », celle des cheminots de Carhaix, ensemble qui sera peu après appelé bagad en breton, terme dont l’emploi se généralise par la suite.
Carhaix fait école et le début de la décennie 1950 voit le nombre de bagadoù croître très rapidement : 14 en 1952, 47 en 1955… au point qu’il est difficile de se procurer des instruments et notamment des biniou bras, nom donné aux nouvelles cornemuses bretonnes, fortement inspirées par la cornemuse écossaise et fabriquées principalement par Dorig Le Voyer. Celui-ci a voulu créer un instrument « moderne » de musique bretonne, avec un levriad (tuyau mélodique) adapté à une échelle standard des bombardes.
Cependant, peu de temps après, quelques sonneurs, tels Émile Allain à Nantes et Christian Hudin à Rennes, se rendent compte que le biniou bras est une copie de la cornemuse écossaise, qui exerce sur eux une véritable fascination en raison, entre autres, de sa sonorité brillante et de sa technique précise et rigoureuse. Ils essaient alors de se procurer des instruments, du matériel et des méthodes en Écosse. Dans le même esprit, en 1956, Herri Léon et Donatien Laurent vont se former au College of Piping en Écosse, et le premier crée une structure équivalente, le Scolaich Beg an Treis, à Porspoder en 1961 ; mais son existence sera éphémère en raison du décès accidentel de son créateur.
Le nombre des pratiquants de la cornemuse écossaise augmente sans cesse, ce qui provoque le mécontentement de certains, dont bien sûr, Dorig Le Voyer :
« J’ai aussi fait des erreurs, car les premiers biniou-bras que j’ai fabriqués étaient de pâles copies de bagpipes. […] Mais le biniou-bras actuel, le biniou Dorig, ne veut en aucune façon ressembler au bagpipe. […] Une bonne oreille bretonne sait faire la différence entre bagpipe et biniou-bras. J’ai voulu garder le timbre [du biniou-bihan], sinon l’octave. »
De plus, l’échelle musicale de la cornemuse écossaise ne correspond pas tout à fait à la gamme standard (le quatrième et le septième degrés en diffèrent, ce qui modifie, bien sûr, certains intervalles), et ceci ne va pas sans poser des problèmes d’adaptation aux bombardes, « l’instrument-roi des allégresses », que les Bretons ont, bien entendu, tenu à conserver dans leurs ensembles. Mais ces problèmes ne semblent pas insurmontables, et au bout de quelques années, l’emploi de la cornemuse écossaise s’est quasiment généralisé. Ce qui a permis à Polig Monjarret de dire en 1998 que « La cornemuse écossaise a sauvé la musique bretonne ». Il faut néanmoins ajouter que, dès la fin des années 1960, le biniou breton traditionnel a connu un retour en grâce chez les sonneurs par couple.
Gilles Goyat