Les Voyages de Cosme K
Un jeune homme fuit son passé et se réfugie dans l’errance. Au hasard des rencontres, il pose son sac au bord du cercle polaire en Norvège, sur les rives sauvages du lac Baïkal et dans la modernité enivrante de Singapour.
Discret et solaire, celui que tous appellent Cosme K est accueilli par des inconnus et s’immisce dans leur quotidien avant que la route, pourtant, ne le reprenne. Alors qu’il aborde les confins du monde connu, son frère Ayden se lance sur ses traces. En retrouvant les hommes et les femmes que Cosme K a croisés et dont il a bouleversé l’existence, il reconstitue son parcours et s’efforce de réconcilier leur destin.
Traversé par la culpabilité et le pardon, un roman initiatique qui se déploie dans des paysages majestueux.Editions Gaïa 2019
L’avis du jury…
Cosme K : un personnage solitaire au nom énigmatique. C’est un corps, une silhouette, une ombre qui se dessine, s’efface et se perd. Il échappe. Il refuse éperdument de s’encombrer du passé qui resurgit pourtant la nuit dans ses cris et ne cesse de hanter ses rêves. Il vient d’un bout de terre à l’ouest de la France, bel ange blond déchu muni d’un baluchon qu’il se refuse de poser trop longtemps.
C’est un être de passage, du passage, qui aspire à des mondes « où se fondre et disparaître » pour être hors de la vie. Sa course lui fait fuir les liens, franchir des frontières dans des trains nimbés de rêves et de souvenirs. Il voyage pour qu’enfin advienne l’oubli, pour ne plus « être en dissonance permanente ».
Nous partons, dès le prologue, sur les traces de Cosme K que nous voyons s’éloigner à travers les yeux de son frère ; nous sommes magnétiquement happés dans le dédale de la quête de cet homme, entre opacité et profondeur, entre permanence des souvenirs de ceux qu’il a croisés et traces qui s’effacent. Et chaque chapitre s’ouvre sur des balises poétiques semées sur la page comme des amers : autant d’indices pour remonter le parcours de ce fantôme :
Norvège :« Ici, j’ai vu les queues des baleines à bosses » ;
Sibérie :« J’ai partagé l’omoul séché et l’eau-de vie dans la datcha du ministre » ;
Singapour, quant à elle, est dépeinte dans ses impasses et dans les pièges tendus par la vacuité de nos vies contemporaines.
Cosme K va rencontrer sur sa route de doux visages, des femmes, elles, ancrées, assignées dans leurs terres : Maïken, Irina, celles qui résistent, s’enracinent, après les départs de ceux qu’elles ont viscéralement aimés. Elles cherchent à le retenir, l’enjoignent à ne pas partir encore, mais, sans doute, n’est-il pas prêt à recevoir leur douce bienveillance.
Nous suivons le personnage dans ses trajectoires extraordinaires, semées de faux hasards ; dans les nuits polaires d’été, au pays des macareux et des baleines ; depuis les hauteurs des rochers des Vesteralen jusqu’aux rives glacées du Baïkal. Nous traversons sur ses pas tous les endroits où « l’on est dans la beauté ».
Cette fiction captive par la force de l’incarnation des personnages : Olga cuisinant dans sa Datcha, Maïken aidant ses bêtes à mettre bas : autant de portraits de femmes puissantes. Svetlana, la petite fille patinant sur un lac gelé, Saymone, le cosaque qui se bat pour les frontières de son pays. Chiara, qui, à Singapour, cherche à combler le vide de sa vie d’expatriée ; Shu Fang éminemment fragile. Un vieil homme aussi, issu de la diaspora russe, rescapé des goulags : autant de figures dont il est difficile de se détacher.
Et l’on se laisse prendre au tissage subtil des souvenirs et des fils entrelacés d’une quête du personnage qui se reconstitue grâce à son frère qui, plus tard, emprunte son sillage. Le lecteur, funambule, effectue ainsi les trajets de Cosme et reconstitue trames et chaînes des fils qui se tendent dans les mondes qu’il traverse.
On est happé par la sensualité de l’écriture qui se fait l’écho des éléments : elle donne densité au velouté du grain de peau, à la vibration de la lumière, à cette force vitale qui anime la nature dans son entier malgré la mort qui rode, les douleurs, les accidents. Et l’on entend ce qui remonte des profondeurs et des abysses, on contemple la beauté de ce qui perdure, comme les gravures rupestres, les oiseaux gravés dans la roche ; on vit les mémoires du lac sacré sibérien qui se transmettent de générations en générations. On entend le chant de petites grives.
Le livre de Philippe Gerin est une invitation à lire les liens invisibles entre les mondes, à décrypter la parole d’un chamane ou à sentir la puissance d’une alexandrite venue du passé. Il nous confronte à l’impermanence, à l’épaisseur du temps et à la nécessité absolue de ne plus vivre, un jour, inaperçu à soi-même.
Le livre se dévore, car il se fait éloge de l’appétit de vivre, de sentir, de vibrer, d’aimer . On songe, en résonance, quand la dernière page se tourne, au personnage amnésique de Bestefar qui griffonnait pour ses visiteurs sur des bouts de papiers : Philippe Gerin, comme lui, offre à ses lecteurs des mots vibrants et devient « un passeur de douleur et de tourments ».
Corinne Stephan
Membre du jury du prix du roman de la ville de Carhaix
Philippe Gerin
Philippe Gerin né en 1970 réside en Bretagne. Il a vécu et voyagé au Canada, en Sibérie, au bord de la Baltique, en Scandinavie et dans d’autres mondes connus. Il est l’auteur d’un premier roman Du haut de la décharge sauvage (Les Nouveaux Auteurs) qui avait participé à la sélection du Prix du Roman de la Ville de Carhaix de 2013.
Le « prix du roman de la ville de Carhaix » sera remis à l’occasion du Festival du livre en Bretagne le dimanche 25 octobre à midi.