L’auteur et magistrat nantais Yvon OLLIVIER, présidera le 25ème Festival du livre en Bretagne qui portera pour thème Le printemps des « régions » ?
Né à Brest, Yvon Ollivier est issu de la paysannerie du Léon. Dans la famille Ollivier, où on compte de nombreux membres du clergé, il est hors de question de mettre les enfants à l’école publique: ils feront tous leur scolarité dans le privé. Il va au lycée à Brest, « chez les Jésuites », où il se découvre un certain goût pour la lecture. Il décroche un bac L et s’inscrit en licence de droit à la faculté de Brest, où il se passionne pour ses études. Trois ans plus tard, il part à Paris finir son cursus juridique. Il suit une maîtrise de droit international à Paris-I, tout en préparant Sciences-Po. Il intègre l’école en 1991 tout en suivant un DEA de droit international privé.
Le souvenir que lui laissent ses deux années à la rue Saint-Guillaume est partagé. Fils de paysans bretons au milieu de rejetons d’une élite encore très parisienne, il ne trouve pas son compte dans cette atmosphère guindée. En section Service public, il montre assez peu d’intérêt aux cours en général, « très cadrés, très cadrants »; la méthode « Sciences-Po » lui paraît trop scolaire, formatée. Certains professeurs l’impressionnent, comme Alfred Grosser, spécialiste des relations franco-allemandes et brillant pédagogue. « Des profs comme lui ont certainement influencé mon parcours intellectuel, par leur vivacité d’esprit, leur manière d’investiguer, de décrypter les enjeux au travers des discours. Ils m’ont appris à rechercher ce qui se cache derrière les apparences et la pensée commune. »
C’est en effet à Paris, bien loin de sa région natale, qu’il prend conscience de sa « bretonnité ». « Avant, je n’avais jamais vraiment réfléchi à la Bretagne. Je ne m’étais jamais dit : être breton, qu’est-ce que ça signifie ? Jusque-là dans mon entourage, tout le monde était breton. Ce n’est qu’à Paris que j’ai pris la mesure de la spécificité de mes origines, de ma culture, de ma région. « Le breton ? Je l’entendais parler dans ma famille. C’était une langue à laquelle j’étais habitué, et qui m’était en même temps inconnue: mes parents ne m’ont jamais parlé en breton à la maison, et ça ne me posait pas problème. L’école, la ville, la jeunesse parlaient français. C’est après que j’ai découvert ce qui se cachait derrière ce silence: la République française, par l’imposition d’un système de pensée et d’une langue uniques, s’est construite sur le refus de l’altérité et la mort de ses vieux peuples. La politique d’éradication du breton en est une tragique manifestation. »
Diplômé en 1993, il fait son service militaire à Saint-Cyr Coëtquidan et à Chateaulin, puis revient à Sciences-Po faire une année de préparation à l’ENA. Il décroche l’ENM, déménage à Bordeaux. Deux ans plus tard, il est magistrat à Cambrai, puis à Saint-Nazaire et atterrit à Nantes en 2006.
Dans cette ville, à l’automne 2007, il initie un mouvement de protestation contre la réforme de la Justice de Rachida Dati, qui visait à casser l’unité judiciaire de la Bretagne historique en transférant les Tribunaux de Loire-Atlantique dans le ressort de la Cour d’appel d’Angers. Tout au long de la contestation, il en reste l’un des porte-paroles privilégiés. Il appelle à une réunion avec tous les acteurs concernés, magistrats et avocats, et contacte le mouvement culturel breton pour qu’il leur vienne en appui. La mobilisation des différents tribunaux aboutit à une grande manif à Rennes. « Notre argumentaire était d’ordre historique, mais aussi financier. On voyait bien que derrière la réforme se cachaient des intérêts politiques pour certains membres du gouvernement. Au début, on se moquait de nous, avec nos gwenn ha du ; et finalement, grâce à une forte mobilisation, nous avons fait fléchir le Pouvoir. »
Dans son métier, il touche de près la problématique de l’intégration des étrangers, pour laquelle il porte un grand intérêt. Pour lui, les nouvelles minorités issues de l’immigration et les vieilles minorités régionales sont également condamnées à se renier et à s’autodétruire sous le rouleau-compresseur de l’uniformité républicaine, imprimant dans les esprits l’idée d’une France éternelle, une et indivisible, d’un peuple français homogène dont la diversité est d’abord niée par le droit, puis réprimée dans les faits. La France se prive ainsi d’atouts extraordinaires dans la mondialisation et se montre incapable de valoriser la différence de ses communautés pour renforcer l’intégration et en faire bénéficier son commerce international.
En 2012, il publie un essai, La Désunion française, où il explique sa vision de la République jacobine, tournée contre l’homme et la nécessité de repenser l’unité française pour la fonder avec l’altérité de ses minorités et non plus contre elle. Cet ouvrage a permis de renouveler le débat sur la question bretonne et de proposer une autre République capable de renouer avec ses grands principes fondateurs et de s’ouvrir à l’altérité de ses peuples. Cette grande mutation, qui tarde à se dessiner, est l’unique chance pour la France, dont le modèle est en échec, de réussir son insertion dans la mondialisation.
Il est aujourd’hui membre de l’Institut culturel de Bretagne, siège au Conseil d’Administration de Bretagne réunie.
Avec la coordination des juristes de Bretagne, il a renouvelé l’appel de 2008 pour la réunification de la Bretagne dans le cadre de la présente réforme des collectivités locales. Face à un système juridico-politique et une sphère publique viscéralement hostiles à la réunification, par crainte et idéologie, il ne voit pas d’autre salut qu’un sursaut de la société civile bretonne.
C’est dans ce contexte singulier, que sort son nouvel ouvrage, le roman « gueule cassée, Lom ar geol » aux éditions Yoran Embanner. A travers la métaphore du visage perdu d’un paysan breton, blessé à la grande guerre, l’auteur explore les diverses fractures engendrées par ce conflit et la question du rapport à l’Autre. Le visage perdu du héro rappelle le monde paysan qui s’en va, la langue bretonne qui disparaît de nos campagnes et l’éternel combat de l’humanité.
La Bretagne aussi, a un visage qui ne doit pas disparaître. Ceux qui aspirent à sa disparition dans le grand ouest poursuivent le lent travail de déshumanisation entrepris par la République jacobine.
En droit fil de l’essai « La désunion française » ce roman revisite les thèmes chers à l’auteur de la déculturation et du rapport à l’Autre, par l’entremise d’un paysan breton, Lom, une « gueule cassée » de retour au Pays durant la grande guerre. Ce roman soulève la question de la liberté de l’homme face à la société et au droit qui peuvent lui renvoyer une image de lui en laquelle il ne se retrouve pas. Mais c’est aussi une histoire d’amour, dans la Bretagne rurale et communautaire, où la transcendance n’est jamais très loin, autre thème cher à l’auteur.