Buvard
Julia Kerninon
Résumé
Éléments biographiques
Née en 1987 dans la région nantaise, Julia Kerninon est actuellement thésarde en littérature, et mène une recherche sur la revue américaine The Paris review.
Buvard est son premier roman en littérature générale.
Résumé de la 4ème de couverture
Qui est vraiment Caroline N. Spacek ? À 39 ans, cette écrivaine sulfureuse vit recluse dans la campagne anglaise, à l’écart de tous, et surtout du monde littéraire, elle qui connut un succès précoce dès son premier roman. Elle accepte pourtant d’ouvrir sa porte un après-midi de juillet à un étudiant, Lou, admiratif de son œuvre. Il n’en partira que neuf semaines plus tard, durant lesquelles elle le laisse l’interroger sur sa trajectoire hors-normes.
Issue d’un milieu marginal, la prairie, entre père alcoolique et mère obèse, bagarres et sexualité précoce, Caroline rencontre à 18 ans un poète déjà reconnu, Jude Amos, qui va tout lui apprendre, et d’abord les mots. Un an plus tard, elle publie son premier roman dans lequel elle transporte la violence de son enfance, et cette littérature de boxeuse fascine et dérange. La gloire littéraire est immédiate, mais elle est aussi controversée et scandaleuse.
Avec Lou, issu des mêmes franges de la société, va s’engager un échange nourri de révélations et de secrets. Mariages successifs, fuites nombreuses, notamment dans les pays de l’Est... Caroline, femme à la beauté intimidante et féroce, est comme ses livres, un champ de mines.
Pourquoi a-t-elle choisi cet isolement dans le Devon ?
Avec Buvard, Julia Kerninon, âgée de 26 ans, fait preuve d’une grande maîtrise dans l’art de la narration pour nous raconter ce destin de femme exceptionnel. Le plaisir de lecture est renforcé par l’intelligence de sa réflexion sur le processus de création et l’ambivalente relation entre l’écriture et la vie.
Ce qu’en pense le Jury…
Buvard : papier qui boit l’encre. Le trop plein, ce qui déborde. De souffrance, de vie. Qui aide à l’écriture. Qui offre en miroir déformé ce qui est écrit. Et se ramifie en veines bleutées...
Lou découvre par hasard les œuvres de Caroline N. Spacek et décide de lui rendre visite dans le Devon pour une interview. Il restera neuf semaines. Il accumule les cassettes et les bandes magnétiques, fragments épars de la vie de l’écrivain. Il devient « une oreille pour sa voix ».
Il va découvrir une femme-enfant, forte et fragile. Fascinante, animale. Elle a des ongles de couleur « à mi-chemin entre le sang et les fleurs ».Elle va confier la violence de son milieu d’origine et sa venue au monde de l’écriture. Jour après jour, la parole va se délier, se dévider. A Lou, et à nous lecteurs, de remonter le fil, de reconstituer le puzzle de « tout ce qui l’avait mise en pièces ».
On se prend au jeu de l’attente et des silences. Car c’est sans doute dans ces blancs que tout se joue.
Ces temps entre les chapitres qui donnent sa pulsation à l’œuvre. Qui suscitent l’envie fébrile de poursuivre, d’en connaître davantage, de continuer de mettre au jour ce qui peut être enfoui. Ce qui se cache derrière les fuites de Caroline, ses voyages, les hommes de sa vie.
On se laisse happer par ce style âpre et sensuel, violent et délicat. Chaque chapitre offre sa propre musique, son tempo induit par les dialogues, le jeu de l’italique. On se plaît à partager les moments complices de ce duo et leur boulimie de gourmandises. Ailleurs, on est stupéfait par la violence du monde et celle des hommes.
Et c’est bien progressivement le vertige qui nous gagne : l’influence de Caroline agit comme un révélateur photographique qui dessine progressivement le portrait de Lou. Les jeux d’échos entre leurs vies se dévoilent. Mêmes expériences sordides, même avidité à vivre, et peut-être même urgence à écrire le monde.
Julia Kerninon signe ici un roman sur l’amour, sur la mort, et sur la littérature. Elle interroge ce qui est à la source de l’écriture. Car son livre, s’il fait subtilement l’éloge d’écrivains comme Rilke ou Faulkner, est aussi un écrin recueillant des fragments lumineux de poèmes .Les extraits des œuvres de Caroline et de Jude -l’homme qui l’a initiée au monde des livres- sont autant d’éclats d’une mosaïque précieuse qui donnerait d’elle une autre figure en creux :
« Une partie de moi ne revient pas de nous deux »...
« Une partie de moi ne revenait pas d’elle-n’en revenait pas d’elle » dira le narrateur....
Une partie de nous ne revient pas indemne du récit de ces vies révélées un été au cœur de la campagne anglaise.
Corinne STEPHAN
Membre du jury du Prix du Roman de la Ville de Carhaix.